L'entreprise des Indes, Erik Orsenna
Publié le 16 Septembre 2010
Comme défenseur de la langue française, il y en a pour penser à Bernard Pivot, d’autres à Daniel Pennac, pis encore d’autres mais les noms font défaut à une pauvre culture personnelle.
Moi c’est Erik Orsenna. Pour tout dire, j’en suis restée à « L’exposition coloniale » comme bonbon littéraire, repue, à l’époque, d’avoir aussi bien lu. Avec « La grammaire est une chanson douce », « Les Chevaliers du subjonctif », « La révolte des accents » et « Et si on dansait ? », la qualité est là et je m’interrogeais sur le peu de romans finalement lu de lui. Precipitación donc sur « L’Entreprise des Indes », certaine de mon coup.
Ha la la.
Quelle déception !
Pourtant le sujet paraissait séduisant : au XVème siècle, Bartolomé, frère de Christophe Colomb et cartographe de formation se trouve au cœur du grand projet de l’ainé, la route des Indes, plein ouest, fi de la route de la soie. Il sera lui-même englouti par l’appétit de Christophe à réaliser son voyage, son destin vampirisé par la détermination et l’ambition de son frère.
Prometteur donc.
Mais, las !
Malgré la passion de l’auteur dans ses interviews, le livre tombe à plat, l’émotion peine à suinter, l’attrait s’effiloche, la qualité de l’écrit se noie dans un style trop travaillé pour s’alléger.
Finalement, je suis allée au bout du livre, je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai traversée l’Atlantique à la nage pour cela mais c’est déçue déçue que j’ai touché terre.
Certaines réflexions de-ci de-là aident, tels les îlots d’un archipel ou d’un chapelet de curiosité, à maintenir le cap :
« …J’avais toujours vécu près de l’eau. Et de Gênes à Lisbonne j’avais soit longé la Méditerranée, soit franchi l’Espagne avec pour but une bordure de l’océan.
Cette fois, m’écartant un peu plus à chaque pas d’un rivage, il me semblait m’arracher à la vie.
Je m’attendais à ne rencontrer que de la tristesse et de la contrainte.
Comment se sentir libre, me disais-je, quand on vit loin de la mer ? Comment ne pas étouffer quand des terres, et seulement des terres, vous encerclent ? Pas étonnant que ces prisonniers ̶ là, ces malheureux qui vivent au milieu des forêts et des champs, n’aient de cesse de fabriquer des livres. Quand on ne dispose pas de bateau ̶ , la seule façon de fuir, c’est lire. »
« Jean de Westphalie m’avait tout de suite trouvé l’ouvrage pour lequel j’étais venu sur ordre de mon frère, cet Ymago mundi qui devait avoir tant d’importance dans l’histoire de l’agrandissement du monde. Ma mission accomplie, je pouvais à tout moment revenir à Lisbonne. Pourquoi repoussais-je de jour en jour mon départ ?
Il est des heures où l’existence hésite : à côté du chemin prévu se présente une autre route. L’amitié, tout autant que l’amour, peut faire basculer des destins. Jean de Westphalie me proposait de m’installer près de lui et que nous œuvrions de concert. Arguant que je connaissais déjà une part de son métier, que j’avais, pour y exceller, la patience et le soin et le goût d’apprendre et celui de transmettre ; que ce métier avait pour avantage, inappréciable chez les natures semblables à la mienne, curieuses de tout, d’aborder tous les savoirs sans s’enfermer dans aucun : un livre achevé, vous verrez, on se passionne illico et tout autant pour un autre domaine ; que , pour accroître l’intelligence chez les hommes, les livres valaient bien les bateaux, et la lecture, le voyage ; que, surtout, un grand mouvement d’intelligence se levait ici, dans le sud des Pays-Bas, et que, si j’acceptais de demeurer quelques semaines, il pourrait me faire rencontrer certains philosophes de ses proches : ils parlaient de la liberté, et offraient à l’espèce humaine des perspectives exaltantes.
Je balançai une pleine semaine.
De ce balancement Christophe ne sut jamais rien. Le lui eussé-je raconté qu’il n’aurait rien écouté et encore moins entendu. L’Ouest seul l’occupait.
Pourquoi décidai-je finalement de ne pas changer le fil de ma vie ?
Rien ne sert de regretter.
Nous sommes faits d’eau. Et, comme elle, nous suivons notre plus grande pente. »
"L'entreprise des Indes", Erik Orsenna, Stock mai 2010, «««««